Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Lesmillefeuillesdefirmin.overblog.com

Un blog littéraire. Au programme: plein de lectures, un peu d'art et d'histoire!

Critiquelibre: LE DIMANCHE DE BOUVINES (Georges Duby)

Anatomie de la bataille médiévale

 

27 juillet 1214 dans la plaine de Bouvines, en Flandre. C’est un dimanche, jour mal choisi pour se battre. Pourtant Philippe Auguste, roi très sacré, se prépare à affronter les ennemis de l’Eglise et de la France. C’est qu’après avoir ravagé les terres du comte de Flandre, les Français se trouvent pris au piège entre un pont et des marécages. Face à eux, un empereur excommunié, des nobles félons, des mercenaires et autres réprouvés qui encourent le courroux divin. Mais comment guerroyait-on au XIIIème siècle ? Et en quoi la victoire de Bouvines a-t-elle été décisive pour le royaume ?

Dans cet extraordinaire ouvrage publié en 1973, Georges Duby, historien des Annales, prouve qu’il sait tirer profit de « l’histoire bataille ». Pour lui un tel évènement est révélateur des structures profondes de la société médiévale: pratiques militaires (art de la guerre et ses innovations), structures politiques (impliquant la propagande et le sacré), mais aussi structures mentales (avec la formation de l’idéologie chevaleresque, basée sur l’honneur et la prouesse).

Duby commence par évoquer ses sources et ses objectifs, puis, tel un metteur en scène, il plante le décor et présente le casting, avec dans les rôles principaux Philippe Auguste, l’Empereur Othon 1er, Renaud comte de Boulogne et Ferrand de Flandre. Les motivations de chaque protagoniste sont exposées au regard du contexte historique. Ça y est, la bataille peut commencer ! Duby donne la parole à un confrère du XIIIème siècle, Guillaume le Breton, chapelain présent à Bouvines aux côtés du roi de France. La voix de ce chroniqueur nous entraîne au plus près des combats dans une atmosphère enfiévrée; elle restitue le bruit et la fureur des guerriers en quête de prouesses. Dans la confusion des mêlées, chacun tente de désarçonner les chevaliers adverses, de capturer hommes et chevaux. La plaine résonne de cris, de prières, les surcots ornés d’armoiries sont déchirés et les épées dégoulinent de sang. Il faut surtout sa garder de la « piétaille », ces fantassins méprisables qui harponnent les chevaliers à l’aide de crochets et visent les interstices des cottes de mailles. Philippe Auguste lui-même est jeté bas de son cheval et manque de périr égorgé. Mais lorsque l’empereur Otton tourne bride, la bataille est bel et bien finie. Elle aura duré tout au plus 3 heures. L’armée du roi de France a capturé des centaines de nobles, mais peu de chevaliers sont morts. C’est que la bataille du XIIIème siècle est très éloignée des clichés ressassés dans les romans et les films.

Les commentaires de Duby sont à ce sujet très éclairants. Ils distinguent les trois grands aspects de l’art militaire médiéval: tournoi, guerre et bataille. Pratique éminemment chevaleresque, le tournoi n’est pas encore, vers 1200, cette joute ordonnée popularisée par le cinéma. C’est une activité d’équipe, très brutale, où tous les coups sont permis pour s’emparer des biens de son adversaire. Le tournoi a pour fonction de canaliser la violence des jeunes et de compenser la monotonie des guerres de ce temps-là. Alors que la guerre médiévale est pour nous synonyme de barbarie, Duby nous explique qu’elle n’était en réalité qu’une chasse au butin, codifiée et prudente, un rituel saisonnier destiné à maintenir les seigneurs féodaux dans leur bon droit et à les enrichir si possible. On assiégeait les places fortes, on pratiquait razzias et enlèvements d’otages ; mais bien rares étaient les batailles. Selon Georges Duby, la bataille médiévale était même l’inverse de la guerre, à savoir une procédure de paix. Décisive, elle exprimait en quelque sorte un Jugement de Dieu, une issue définitive; mais les belligérants ne s’y risquaient que très exceptionnellement. Et même sur le champ de bataille, les chevaliers devaient respecter une certaine éthique : combattre loyalement, utiliser des armes « nobles » – comme la lance et l’épée -, ne pas tuer les chevaux de l’adversaire et épargner la vie des pairs. Le chevalier vaincu est fait prisonnier, mais on n’attente pas à sa vie – presque tous les nobles morts à Bouvines ont été tués par accident. L’auteur insiste aussi sur les évolutions militaires du XIIIème siècle : un recours de plus en plus massif à la monnaie et donc aux mercenaires (avec les dangers que ça comporte pour les populations civiles), un armement chevaleresque plus sophistiqué qui réduit les risques et excite la témérité, un rôle croissant des armées communales pourtant méprisées par les nobles.

La 3ème partie de l’ouvrage concerne la mémoire de l’évènement, la construction de la légende de Bouvines et sa réutilisation au gré des péripéties politiques françaises. A la veille de la 1ère Guerre par exemple, le souvenir de cette victoire est réactivé pour exalter un patriotisme très hostile aux Allemands.

« Le Dimanche de Bouvines » est un livre de référence comme seul Duby savait en écrire: érudit et profond sur le plan historique, mais aussi passionnant qu’un roman d’aventures. Bref un ouvrage qui redonne goût à l’histoire !

Critiquelibre: LE DIMANCHE DE BOUVINES (Georges Duby)
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article