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Un blog littéraire. Au programme: plein de lectures, un peu d'art et d'histoire!

Critique libre: LE MEILLEUR DES MONDES (Aldous Huxley)

Du bonheur en éprouvette

 

En l'an 632 après Notre Ford, l'humanité connaît enfin la paix et le bonheur. Mais c'est un bonheur aseptisé, où les émotions et la beauté n'ont plus aucune part. Les Administrateurs mondiaux veillent à la stabilité sociale et au confort de tous, en conditionnant les individus dès leur naissance, et même avant. Finis les aléas de la reproduction vivipare! Dans cette nouvelle ère, les mots « père », « mère » et la notion même de famille sont considérés comme inconvenants. Désormais, tout commence dans une éprouvette. Au Centre de prédestination sociale, certains embryons bénéficient des conditions biologiques optimales pour se développer physiquement et intellectuellement: ils deviendront des Alphas, l'élite du meilleur des mondes, destinés à occuper de hautes responsabilités. Les Bêta, eux, constituent les classes moyennes, conçus pour consommer et effectuer un travail ordinaire. Quant aux Gammas, aux Deltas et aux Epsilon, on réduit leur ration d'oxygène dès le stade embryonnaire, ceci afin de les rendre serviles et chétifs. Incapables de réflexion, ils assurent sans rechigner les tâches les plus ingrates, et on peut même les cloner à volonté pour satisfaire les besoins en main d'oeuvre. L'éducation est strictement encadrée dès le plus jeune âge grâce à l'hypnopédie: pendant leur sommeil les enfants assimilent des dictons et des principes sains martelés par des voix mécaniques. "Chacun appartient à tous les autres." "Nous ne pouvons nous passer de personne". Effectivement, dans cette société du futur, l'individu n'a plus aucune valeur en tant que tel, il est un simple rouage de la machine sociale. En ce sens, la solitude, l'originalité et même la monogamie sont devenues immorales. Chacun doit se conformer aux normes de sa caste, adopter un mode de pensée unique, utiliser les mêmes transports aux mêmes heures, pratiquer les mêmes loisirs que la majorité. Car le bonheur est dans l'uniformité! Après une longue journée de travail, quoi de meilleur qu'un tour en taxicoptère, suivi d'une partie de Golf Electromagnétique ou d'un film au Cinéma Sentant? Tout est conçu afin que les frustrations soient abolies par une satisfaction immédiate des désirs. Ainsi – « Ford soit loué ! »- plus de guerres, plus de désespoir, plus d'amour malheureux et plus de peurs. La littérature et l'art doivent se débarrasser de toute passion. Même la vieillesse est abolie: les humains gardent toutes leurs capacités jusqu'à la soixantaine, avant de mourir dans  l'indifférence générale et d'être transformés en phosphore utile au moyen d'une incinération. Et si malgré tout un ennui survient, pas besoin de vertu pour y faire face: le SOMA, un nouveau médicament, permet de s'évader sans effets secondaires. "Un gramme à temps vous rend content", dit le slogan, "avec un centicube, guéris dix sentiments", dit le slogan.

 

 Les personnages principaux de ce roman sont Bernard Marx, un Alpha Plus spécialiste en psychologie, et Lenina Crowne, ouvrière au centre de Prédestination sociale. Bernard est différent des autres Alphas – aurait-on versé par accident de l’alcool dans son pseudo-sang ? Solitaire et indépendant, il passe pour asocial, ce qui est une faute gravissime dans ce monde totalitaire. De plus son corps est si frêle qu’il atteint tout juste la stature d’un Gamma ! Bernard est attiré par Lenina, une jeune femme parfaitement adaptée, et « pneumatique » à souhait. Il décide donc de l’emmener en weekend au Nouveau-Mexique, dans l’une des dernières réserves de « sauvages » -comprenez humains « vivipares » qui vivent en familles, ignorant les nouvelles technologies. Dans cette réserve, nos deux héros rencontrent John, un jeune sauvage féru de superstitions et de littérature shakespearienne – désormais interdite dans le monde civilisé. Le choc culturel risque d’être rude, d’autant que John brûle d’un amour romanesque pour Lenina.

 

 Ce roman publié en 1932 est l’une des premières dystopies littéraires. Quatre-vingt ans après, on est encore surpris par sa modernité et son actualité ! L’oeuvre d’Huxley est étrangement visionnaire, elle pose beaucoup de problèmes philosophiques sur la signification du progrès, les apports – et les limites ! - de la science, les rapports entre la technique et la nature. Mais les questions qui m’ont paru les plus passionnantes ont trait à l’essence même de l’être humain : peut-on être heureux dans une société entièrement matérialiste ? L’individu est-il conditionné par la collectivité ? La passion et la beauté sont-elles plus importantes que la sécurité et le confort ? Le livre est riche en dialogues qui donnent à réfléchir sur ce « meilleur des mondes », reflet outré de notre propre société ! Mais au-delà de cette dimension philosophique, le roman comporte une véritable histoire portée par des personnages en conflit : alors que certains incarnent les valeurs futuristes, d’autres résistent au nom de leur humanité. Au final, c’est une œuvre qui ne peut laisser indifférent : les situations décrites sont tantôt effrayantes tantôt comiques, mais toujours intrigantes pour les hommes du XXIème siècle que nous sommes. En cela le livre d’Huxley est vraiment un classique ! Il a ouvert la voie à une science-fiction intelligente, celle de Ray Bradbury (« Fahrenheit 451 ») et de George Orwell (« 1984 »).

Critique libre: LE MEILLEUR DES MONDES (Aldous Huxley)
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